« Allez et invitez tout le monde à la noce ». (Mt 22, 9)
Introduction
L’Eucharistie, ce banquet auquel le Christ nous convie et au cours duquel il se donne à nous, n’est-elle pas sa manière la plus solennelle de nous mettre en communion avec lui et de nous faire entrer dans son royaume ? L’invitation au banquet messianique n’est-elle pas le devoir de toute l’Église appelée à convier tous, sans exception, au festin de son divin Maître, Seigneur et Sauveur ? Le Seigneur, le Tout-Puissant, n’a-t-il pas promis donner « un festin pour tous les peuples, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, de viandes succulentes et de vins décantés » ? (Is 25, 6). Voilà ce que prophétise Isaïe. Le plus intéressant est la perspective eschatologique que revêt ce festin, car le prophète ajoute que le Seigneur « fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages et dans tout le pays » (Is 25, 8). Matthieu et Luc nous expliquent qu’il s’agit en réalité du Royaume des Cieux. En effet, Matthieu introduit la Parabole évangélique des noces par une comparaison : « il en va du Royaume des cieux comme… » (Mt 22, 2). Luc affirme clairement : « heureux qui prendra part au repas dans le Royaume de Dieu » (Lc, 14,15). Sans aucun doute, il existe un lien entre le banquet que donne le Seigneur et le Royaume des cieux.
Si dans l’Ancien Testament, Isaïe prophétise une invitation au banquet de la part du Seigneur, dans le Nouveau, le Seigneur s’offre Lui-même en banquet. En réalité, le Christ s’est offert en banquet pour nous, afin que quiconque vient à lui et croit en lui n’ait plus jamais faim et n’ait plus jamais soif (Jn 6, 35). Il est venu afin que nous ayons la vie (Jn 10,10). Mais comment avoir la vie si nous ne venons pas à lui ? Et puisque nous trouvons la vie en lui, il nous donne l’injonction d’aller et d’inviter tout le monde à Lui. Voilà la mission qu’il nous assigne. Il est venu régner parmi nous et veut que nous ayons la vie éternelle. N’a-t-il pas promis que quiconque mange sa chair et boit son sang demeurera en Lui et aura la vie éternelle ? C’est ce souci de nous donner la vie éternelle qui le conduira, à la veille de sa passion, à instituer l’Eucharistie ; cette Eucharistie que fait l’Église et qui fait l’Église, cette Eucharistie qui est devenue Mission pour l’Église, cette Eucharistie qui donne la vie éternelle.
L’Eucharistie et l’eschatologie
Le pape Jean Paul II dans son encyclique Ecclesia de Eucharistia explique comment l’Eucharistie est la promesse qui justifie toutes nos espérances eschatologiques. Pour le souverain pontife,
L’Eucharistie est tension vers le terme, avant-goût de la plénitude de joie promise par le Christ (cf. Jn 15,11) elle est en un sens l’anticipation du paradis, “gage de la gloire future”. Dans l’Eucharistie, tout exprime cette attente confiante “Nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur”. Celui qui se nourrit du Christ dans l’Eucharistie n’a pas besoin d’attendre l’au-delà pour recevoir la vie éternelle : il la possède déjà sur terre, comme prémices de la plénitude à venir, qui concernera l’homme dans sa totalité. Dans l’Eucharistie en effet, nous recevons également la garantie de la résurrection des corps à la fin des temps “Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et moi, je le ressusciterai au dernier jour” (Jn 6,54). Cette garantie de résurrection à venir vient du fait que la chair du Fils de l’homme, donnée en nourriture, est son corps dans son état glorieux de Ressuscité.
La réalité eschatologique du salut, “déjà” et “pas encore” réalisé, dans laquelle vit l’Église, nous fait comprendre que le règne de Dieu est déjà parmi nous et que nous prenons déjà part au banquet céleste. Mais notre participation au Royaume de Dieu et à ce banquet n’est pas encore advenue dans sa plénitude. Nous vivons donc dans l’espérance de parvenir à la plénitude, une espérance affermie par le fait qu’elle participe déjà aux promesses eschatologiques du salut par la grâce de Jésus-Christ, vécue comme étant “déjà” présente dans l’Eucharistie. Dans l’Eucharistie en effet, nous croyons que Jésus lui-même est réellement présent parmi nous et que sa grâce rédemptrice nous est accordée.
Dès lors, celui qui participe à l’Eucharistie et qui partage les “prémices de la plénitude à venir” est affermi dans sa volonté de réaliser le Royaume de Dieu parmi nous dès maintenant. Le pape François dans son message pour la XCVIIIe journée mondiale des missions, trouvera juste de reprendre l’enseignement de Benoît XVI son prédécesseur à cet effet. Pour ce dernier, « en toute célébration eucharistique se réalise sacramentellement le rassemblement eschatologique du Peuple de Dieu .Le banquet eucharistique est pour nous une réelle anticipation au banquet final, annoncé par les prophètes (cf. Is 25, 6-9) et décrit dans le Nouveau Testament comme “les noces de l’Agneau” (Ap 19, 7-9) qui doivent être célébrées dans la joie de la communion des saints ». C’est exactement ce que remarquait Henri de Lubac quand il affirme que « l’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église ».
« L’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église »
Cette assertion se justifie à la perfection dans cette deuxième partie du message du pape. L’Eucharistie est « le centre et le sommet de la vie de la communauté chrétienne ». Dans l’Eucharistie, se trouve le sommet à la fois de l’action par laquelle Dieu sanctifie le monde dans le Christ, et du culte qu’en l’Esprit Saint les hommes rendent au Christ, et par lui, au Père. Car elle « édifie l’Église » et « lui donne vie et croissance continuelle ». C’est donc à raison que le père Henri de Lubac affirme : “L’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église”. Autrement dit, sans le ministère de l’Église, on ne saurait avoir l’Eucharistie, de même, c’est l’Eucharistie qui construit la vie de l’Église, son unité, la communion entre ses divers membres. Signe d’universalité et de charité, elle représente et réalise l’unité de tous les fidèles. Et comme l’explique Benoît XVI, « l’Eucharistie est le processus visible du fait de se réunir, un processus qui, à partir d’un lieu et à travers tous les lieux, est une entrée en communion avec le Dieu vivant qui, de l’intérieur, rapproche les hommes les uns des autres. L’Église se forme à partir de l’Eucharistie. Elle en reçoit son unité et sa mission ».
L’Eucharistie est par conséquent « exigence de fraternité, de communion et de mission » dans le monde et dans le temps. Elle est la célébration de la mission universelle qui vient du Christ. Les chrétiens ont donc pour devoir de manifester la fécondité de cette mission dans le monde en devenant à travers le Christ-Eucharistie, « authentiquement frères et sœurs, grâce à la Parole, au Corps et au Sang de Jésus-Christ lui-même ». C’est à ce devoir de fraternité, de communion et de mission, que nous convie le Christ, Lui le premier à se donner à nous, à nous rassembler dans l’unité. Il veut que nous poursuivions sa mission afin que tout le monde puisse être rassemblé dans son amour. C’est ce qu’il exprime par cette injonction : « Allez et invitez tout le monde à la noce ». (Mt 22, 9).
Mission du Christ et mission de l’Église
La mission du Christ et celle de l’Église sont intimement liées, se compénètrent, se complètent et s’éclairent mutuellement. Selon le pape François, « la mission du Christ se situe à la plénitude des temps, comme Il l’a déclaré au début de sa prédication : “Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche” (Mc 1, 15) ». Nous avons le devoir, en tant que disciples du Christ, de poursuivre cette mission à nous confiée, mission qui, à mieux la comprendre, a un caractère eschatologique. En effet, « le temps de l’activité missionnaire se situe entre le premier avènement du Seigneur et le second […]. Car avant la venue du Seigneur, il faut que l’Évangile soit proclamé parmi toutes les nations ». Mais alors, comment procéder ?
Pour le pape François, proclamer l’Évangile à toutes les nations, c’est inviter chacun et tous « au banquet divin où règnent la joie, le partage, la justice, la fraternité, dans la communion avec Dieu et avec les autres ». Cette mission évangélisatrice qui consiste à inviter toutes les nations au banquet eschatologique comme nous le recommande le Christ, est « intrinsèquement liée à l’invitation à la table eucharistique où le Seigneur nous nourrit de sa Parole, de son Corps et de son Sang ». Dès lors, s’approcher de la Table eucharistique signifie se mettre en route pour la mission afin de donner Dieu à tous les hommes ou d’amener tous les hommes à Dieu. Dire mieux, « l’Eucharistie fait de nous des pèlerins-missionnaires de l’espérance, en marche vers la vie sans fin en Dieu, vers le banquet nuptial préparé par Dieu pour tous ses enfants » sans distinction de race, de langue ou de condition sociale. Ceci dit, les pauvres, les gens dits de basses conditions ne doivent point être en la matière, des “laissés pour compte”. C’est pourquoi le Cardinal ARINZE aura raison d’enseigner que participer à l’Eucharistie nous appelle à un service efficace en faveur des pauvres, des malades et des nécessiteux : « En lavant les pieds de ses apôtres, le Christ a voulu leur montrer que l’Eucharistie nous envoie aimer activement notre prochain ».
Conclusion
L’Église est continuellement invitée à se réjouir en Dieu, à entrer dans la joie de son Maître. L’appel à la communion avec Dieu est le but même de la création du ciel et de la terre et de tous les êtres visibles et invisibles. Saint Augustin n’a-t-il pas dit que le Seigneur nous a faits pour lui et [que] notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en lui ? Nous sommes appelés à demeurer avec et dans le Seigneur. Il nous y invite constamment et nous demande d’amener tout le monde à demeurer en lui et avec lui. C’est ce que traduit son injonction à « aller et à inviter tout le monde à la noce » (Mt 22, 9). À ces noces, ce festin, ce repas eschatologique, ce banquet de chaque jour, c’est le Seigneur lui-même qui se donne en nourriture et en breuvage pour nous ! Venez à ma table, dit le Vigneron, buvez de ma vigne et mangez de ma chair, pour avoir en partage la vie éternelle. Il insiste pour que ses serviteurs appellent “tous”. Ces serviteurs, c’est tous les chrétiens. Le “tous” sur lequel insiste le Maître, c’est le monde entier, tous nos frères humains, sans exclusion de race, de langue, de peuple, de nation de condition humaine. Voilà la Mission que le Christ nous donne. Puissions-nous y répondre convenablement.
Abbé Constantin Léanaug DAHOUNSA
Etudiant en 4ème année de théologie, Saint Gall de Ouidah (diocèse d’Abomey)

